Collège Ste-Croix : promotion 1954 - 62

Lecture de notes

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La lecture des notes

 
Chaque mois, revenait un moment de torture pour la majorité des élèves: la remise des bulletins dont la proclamation des résultats se faisait dans la grande salle d'étude.
 

C'était une tragi-comédie où tout le monde tenait son rôle de force, chacun devant s'avancer pour aller recevoir son bulletin des mains mêmes du préfet des études.

Long calvaire que d'aller de sa chaise à la tribune centrale et de regagner sa place.

Le fichu plancher de bois marquait chacun de nos pas et ajoutait sa dérision en craquant comme jamais dans un silence alourdi par tous les yeux fixés sur nous.

On aurait dit qu'un doigt de sorcière nous désignait comme centre d'attraction.

Impossible d'échapper à cette chienne de gêne mordant nos jarrets mal assurés, impossible de chasser cette vache d'émotions qui nous triturait le plexus de sa corne depuis l'appel de notre nom jusqu'au retour à notre pupitre, fragile refuge ouvert à tous les regards.

Sans compter le rougissement qui en rendait plus d'un fiévreux et empourpré comme lumignon.

Ceux qui n'avaient pas baissé les yeux tout le long du parcours avaient pu saisir des sourires entendus échangés entre élèves et, surtout, l'air de circonstance du préfet qui parfois en remettait en soulignant d'une remarque la remise du bulletin.

Non seulement notre classe, mais tout le Collège était désormais au courant de notre médiocrité ou de notre déchéance. Pour les deux tiers des élèves, ce n'était pas la gloire.

Exercice plutôt équivoque: récompense des talents et des efforts, jeu injuste de la comparaison, épreuve de personnalité, consécration du sentiment d'échec dont toute école a été trop souvent l'occasion.

Chacun se jurait qu'il ferait mieux le mois suivant. La lecture des notes avait au moins ça de bon. Ça et l'obligation de front.

Les premiers de classe s'avançaient la tête haute, en écoeurant les autres avec l'insolence de leur succès et ils n'étaient pas foutus de s'en apercevoir.

Il faudrait bien savoir qui étaient les ânes véritables!

Et ces fameux premiers, ces besogneux aux sourires béats, pousseraient l'audace à la fin de l'année, non seulement à triompher par les notes, mais encore à crouler sous le poids des prix qu'ils accumuleraient sans vergogne devant leurs confrères plus écrasés qu'éblouis et souhaitant que la vie puisse plus tard se charger d'apprendre la pudeur à ces insolents.

On était aussi notés sur le travail, la conduite et la distinction, s'il vous plaît!

On nous formait, Monsieur, dans ces temps-là. Veston, cravate tous les jours!

Plusieurs élèves savaient qu'en plus de l'humiliation d'un mauvais bulletin, ils allaient écoper d'une retenue pour inconduite ou déficience scolaire.

Par chance, coiffer le bonnet d'âne était depuis longtemps révolu.

Mais le pire restait encore à venir: il fallait faire contresigner nos bulletins par nos parents.

Évidemment, les premiers s'en félicitaient. Mais les autres ... Encore une séance de tremblote.

Enfin, on devait aussi affronter le jugement de ses frères et soeurs, des cousins, des cousines et des voisins.

Tout de même, comme il faisait bon de lire en bas du dernier bulletin: «promu en Méthode, en Versification ... »!

Mais c'était avec très grande distinction, grande distinction ou sans distinction du tout.

Toujours la sanction comparative.

Et la dignité humaine dans tout ça !

Chacun ne pouvait donc jamais être excellent en tant qu’individu.

Ah ! Les bulletins !

Au moins, suivait un congé pour le reste de la journée.

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